Paix et réconciliation en RD Congo.
Franco Torres cmf
Secrétariat clarétain de JPIC en RDC
Dans les lignes qui suivent, je parviendrai à peine à esquisser deux aperçus de l’urgence de la paix en RDC. Le premier prend comme point de départ les arrestations arbitraires dans la paroisse clarétaine de Saint Paul Kingandu, dans l’ouest de la RDC, et présente à partir de là la manière dont une communauté tente de construire la citoyenneté. La seconde passe d’un conflit local à connotation tribale à une réflexion sur les causes profondes des affrontements violents en RDC. A partir de là, je crois qu’il est possible de visualiser le caractère socio-environnemental inéluctable de la réconciliation dans la région des Grands Lacs.
Des arrestations arbitraires à la construction de la citoyenneté.
En novembre 2019, les habitants de Sondji, un village de la paroisse rurale de Saint Paul Kingandu, outrés par le viol d’une jeune fille impliquant le directeur de l’école, ont fermé son bureau et exigé qu’il quitte le village. La persécution policière et militaire provoquée par cette « infraction » a entraîné l’arrestation sans discernement de plus de 20 villageois qui ont été maltraités pendant 3 ou 4 jours selon les cas. Leurs familles ont non seulement été violentées au moment de l’arrestation, mais elles ont également dû sacrifier leur modeste production agricole afin de les libérer. Pendant ce temps, la plupart des jeunes des six villages voisins – dont beaucoup sont encore lycéens – ont fui dans la brousse, où ils sont restés pendant plusieurs semaines.
Loin d’être un cas isolé, cet exemple montre la manière dont un grand nombre de policiers et de militaires en zone rurale utilisent la dénonciation d’une éventuelle infraction comme prétexte pour organiser des expéditions afin d’extorquer de l’argent aux paysans, qui le plus souvent n’ont pas les moyens de se défendre. La régularité de ces exactions crée un sentiment général d’insécurité. C’est peut-être pourquoi, lors d’une réunion avec des jeunes à Kingandu où nous avons présenté les objectifs de développement durable, la plupart des participants ont donné la priorité à la paix et au travail lorsqu’ils les ont classés en fonction de l’urgence du contexte. Selon eux, ils l’ont fait dans cet ordre, car sans paix et sans garantie des libertés fondamentales, on ne peut pas non plus bénéficier des avantages d’un travail décent.
Face à cette situation, la communauté ecclésiale a coordonné des actions avec la commission diocésaine pour la justice et la paix, tant pour intervenir en faveur de la libération de personnes détenues illégalement et arbitrairement – dans certains cas, même des mineurs – que pour offrir une formation aux droits de l’homme, à la résolution pacifique des conflits et à la gouvernance participative. En fait, bon nombre des plaintes déposées à ce jour sont dues à des litiges qui peuvent en principe être résolus sans nécessairement recourir à l’intervention de l’État. Ainsi, nos communautés, et en particulier les Commissions Justice et Paix, ont progressivement pris en charge la tâche de la réconciliation dans le cadre de leur mission.
D’autre part, consciente que le renforcement des institutions démocratiques est intimement lié à la construction de la paix et ayant reçu la formation adéquate, la communauté paroissiale a élaboré un « mandat » dans lequel, sur la base de conversations à la base, les problèmes les plus urgents de la population ont été identifiés et des solutions ont été proposées. Ce mandat a été présenté au gouverneur de la province lors de sa visite au village en juin de cette année. Cette expérience s’inscrit dans la continuité de la campagne d’éducation civile et de la mission d’observation électorale nationale organisées par la Commission épiscopale pour la justice et la paix entre 2017 et 2019. En effet, l’Église a joué un rôle prophétique dans la mobilisation sociale qui a été décisive pour la tenue des élections nationales de 2019 ; le défi est actualisé en vue des prochaines élections nationales de 2023.
Des identités tribales à la réconciliation intégrale.
Dans un pays comptant plus de 300 groupes ethniques, comme la RDC, la même composante identitaire qui génère sa grande diversité culturelle peut également devenir un facteur majeur de division. En octobre de l’année dernière, une employée de l’hôpital de Kingandu a réprimandé une patiente âgée et pauvre en évoquant de manière désobligeante son appartenance ethnique. Cela a provoqué la colère d’un de ses collègues du même clan que le patient ; l’affaire a pris une dimension communautaire et a été manipulée par un membre du parlement appartenant à l’une des deux communautés. Après quelques semaines, un groupe de jeunes a fini par manifester devant l’hôpital et a fermé une partie de ses installations, suivi d’un déploiement policier et militaire dans la zone et de la fuite des jeunes dans la brousse.
Bien que les dégâts de cette crise aient été finalement moins graves que ceux du cas Sondji précité, ils nous montrent qu’aucune communauté en RDC n’est totalement à l’abri de tomber dans le tribalisme et de subir des conséquences qui dépassent souvent le domaine même de la communauté. Actuellement, dans les territoires de Kwamouth et de Bolobo de la province de Mai Ndombe, les tensions liées à l’occupation des terres ont déclenché un conflit armé entre les peuples Yaka et Teke qui a déjà fait des dizaines de morts et plus de 9000 déplacés. Toutefois, comme l’a laissé entendre le cardinal Fridolin Ambongo au retour de sa visite aux communautés de Kwamouth, un tel conflit peut être beaucoup plus complexe qu’un simple affrontement tribal localisé.
Bien qu’aucune information officielle ne le confirme pour le moment, une grande partie de la société congolaise partage l’inquiétude que de tels événements soient une nouvelle manifestation de la même crise de déstabilisation vécue à l’autre bout du pays. D’une part, les attaques au couteau s’étendent de la plaine de Bateke aux provinces voisines de Kwilu et Kwangu. Vraisemblablement, les muletiers Bororo arrivés de l’est du pays entre 2017 et 2019 se sont installés dans toute cette région. D’autre part, ces épisodes de violence, dont le foyer est situé à un endroit stratégique pour accéder de l’intérieur du pays à la capitale par les voies fluviales, interviennent dans un contexte d’escalade de la tension entre la RDC et le pays voisin, le Rwanda.
En effet, dans son récent discours devant la 77ème Assemblée Générale des Nations Unies, le Président Félix Tshisekedi a dénoncé l’agression rwandaise contre la RDC par l’incursion directe de ses forces armées et le soutien de troupes et de matériel de guerre au mouvement terroriste M23. Il faut rappeler que depuis 30 ans, les populations des provinces de l’Ituri, du Nord Kivu et du Sud Kivu subissent une véritable guerre perpétrée par quelque 120 groupes armés, congolais et étrangers, qui massacrent des paysans sans défense, violent des femmes pour semer la panique et ont déjà laissé 5,6 millions de réfugiés. Le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU met en évidence la collaboration entre l’armée rwandaise et l’un de ces groupes armés : le M23.
Depuis les années 1990, les évêques congolais dénoncent la menace permanente d’un plan de balkanisation de la RDC. Ce plan implique à la fois certaines factions ethniques présentes au Rwanda et dans d’autres pays de la région des Grands Lacs qui demandent une redéfinition des frontières, et des intérêts transnationaux qui convoitent les réserves minérales stratégiques de la RDC. Et lorsque ces affrontements armés éclatent soudainement entre des peuples qui ont historiquement vécu plus ou moins harmonieusement, comme les Teke et les Yaka à Kwamouth, il est très difficile de ne pas l’associer à la même manipulation des conflits tribaux qui a servi à déstabiliser systématiquement l’est du pays, à affaiblir sa cohésion sociale et à mettre en danger son intégrité territoriale même.
En ce sens, la devise choisie par le pape François pour sa visite, « tous réconciliés dans le Christ », est un message fort et opportun visant à guérir non seulement les conflits aux racines identitaires profondes – tribales ou nationales – mais aussi le lien même entre les peuples, la terre et les créatures qui l’habitent. En effet, nous ne pourrons apprécier adéquatement la complexité de la violence que connaît la RDC que si nous gardons à l’esprit le caractère socio-environnemental indissoluble de la paix et de la justice dont elle est le fruit. Je crois que tant que nous continuerons à penser que la RDC est un pays riche parce qu’elle possède de fabuleuses réserves de cobalt, d’or, de diamants ou de pétrole, nous serons redevables du modèle extractiviste qui est à l’origine de la violence. Pour réconcilier la région des Grands Lacs, nous devons changer nos perspectives.
En tant que missionnaires clarétains en RDC, nous avons fait un pas important vers cet horizon en nous engageant à offrir aux agents pastoraux et aux éducateurs clarétains des itinéraires de formation efficaces sur l’amitié sociale et le soin de la maison commune pendant le triennat 2022-2025. Espérons que cet engagement nous rapprochera toujours plus de ceux qui souffrent directement des effets de cette guerre – y compris notre sœur, la Terre Mère – et qu’avec eux nous nous engagerons à œuvrer pour une paix durable.
Franco Torres cmf
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