Un héros en civil
Francis Amponsah
(Candidat au titre de docteur-enquêteur) Université de Radboud, Nijmegen,
Departamento de Geografía, Planificación y Medio Ambiente
Alors que l’attaque non provoquée de la Russie contre l’Ukraine passe le cap du premier mois, les signes optimistes quant à sa fin prochaine sont rares. Pour les gouvernements du monde entier, cela s’est traduit par un renforcement des sanctions et des discussions structurées avec diverses constellations d’alliés politiques sur ce qui peut être fait pour apaiser, punir ou négocier avec la Russie. Pour les consommateurs, cela s’est traduit par une augmentation des prix à la pompe, à l’épicerie et par des prix choquants pour les services publics.
Les réseaux d’information du monde entier envoient un déluge de reportages sur l’attaque de l’Ukraine, la prise (et la reprise) des villes et villages ukrainiens, et les retombées économiques et géopolitiques du conflit. Lorsqu’elles sont disponibles, les chaînes relatent toutes les bribes d’informations fiables suggérant une fin en vue. Pendant ce temps, les spectateurs du monde entier, les yeux écarquillés, sont confrontés à des images hideuses de guerre, de souffrance et de villes autrefois magnifiques, détruites de façon barbare par les missiles et autres munitions. Ces images inondent notre quotidien, non seulement à travers les médias traditionnels, mais aussi à travers les médias sociaux, qui présentent sans complexe une surabondance de vidéos et d’images amateurs documentant le conflit. Dans l’ombre des jeux de pouvoir politiques mondiaux, de la couverture médiatique rapide et du flux constant d’images et de vidéos sinistres, le peuple ukrainien continue à avancer péniblement.
Le peuple ukrainien a été transformé en héros contre son gré, arrêté dans la ligne de mire d’un conflit qu’il n’a en rien créé. Ces héros existent sous de nombreuses formes. Ce sont les courageux journalistes qui revêtent plusieurs couches de protection avant de se rendre dans les rues ravagées et de continuer à couvrir le conflit. Ce sont les enfants effrayés, qui feignent la bravoure pour les caméras d’information et pour endiguer les larmes de leurs mères. Ce sont les soldats gelés, qui, par conscription ou par choix, traversent le paysage meurtri de leur patrie, rêvant du jour où la guerre ne sera plus qu’un lointain souvenir et ne sera plus dans leur jardin. Ce sont aussi tous ceux qui ont fui, parfois avec seulement quelques valises et des membres de leur famille.
Ces réfugiés portent tous un bagage diversifié, tant sur le plan littéral qu’émotionnel, car ils sont déplacés à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de leur pays, et doivent souvent lutter contre les souvenirs de ceux qu’ils ont dû laisser derrière eux. Nous devons également nous souvenir de ceux qui vivaient, travaillaient ou allaient à l’école à l’étranger lorsque le conflit a commencé. Bien qu’ils n’aient pas eu l’occasion de le voir de leurs propres yeux, ils sont obligés de le regarder en temps quasi réel sur des écrans d’ordinateur ou de télévision, et subissent souvent un stress émotionnel proche de la culpabilité du survivant.
Ces héros du quotidien sont pris entre les crocs d’un autocrate vicieux et pris au piège des interdépendances économiques et (géo)politiques complexes qui poussent même les nations et les entreprises les plus riches du monde à ne pas agir contre leur agresseur. Ces voisins, amis, enseignants, infirmières, vendeurs, présentateurs de journaux télévisés, médecins, écoliers, frères, mères, pères, parmi tant d’autres, ont reçu en héritage une réalité difficile due à la fois aux interdépendances susmentionnées et à des siècles d’engagement chaotique avec la Russie et d’autres occupants.
Soyons donc solidaires des Ukrainiens, c’est le moins que nous puissions faire. Presque tous les pays de la planète ayant lancé de nombreux efforts de soutien, nous pouvons nous efforcer de trouver les moyens les plus appropriés pour nous impliquer. Il peut s’agir de donner des fonds, de la nourriture et d’autres biens à des organisations et initiatives réputées, d’ouvrir sa maison aux réfugiés ukrainiens, d’être attentif aux fausses nouvelles et de les dénoncer chaque fois que c’est possible, de faire pression sur les hommes politiques et les entreprises qui sont lents ou inefficaces dans leur soutien à l’Ukraine, d’encourager les universités à allouer des fonds et/ou des postes aux universitaires ukrainiens, d’organiser le transport des réfugiés ukrainiens et, surtout, de faire entendre la voix des Ukrainiens.
Ce dernier point, en particulier, peut sembler difficile à réaliser, mais l’Ukraine dispose d’un paysage médiatique diversifié, notamment avec ses médias indépendants qui publient dans des espaces médiatiques non traditionnels. Partager, tweeter, poster et interagir avec ces sources médiatiques plutôt que de s’engager uniquement avec les sources occidentales est déjà un pas dans la bonne direction. Les journalistes occidentaux indépendants dont le travail s’appuie sur des espaces médiatiques non traditionnels, tels que les médias sociaux, semblent bien gérer cette situation en mettant en avant et en rapportant des sources d’information ukrainiennes dignes de confiance plutôt que de sur-amplifier les mêmes petits cercles médiatiques occidentaux. Leur volonté de s’engager avec les voix ukrainiennes et de les promouvoir est rafraîchissante.
Bien entendu, ce point et la liste ci-dessus ne sont pas exhaustifs. Il existe une myriade de façons de soutenir l’Ukraine, et certaines actions seront plus réalisables pour certains d’entre nous que pour d’autres. Ainsi, bien que nous puissions nous sentir impuissants dans des moments comme celui-ci, nous sommes toujours capables d’utiliser l’influence dont nous disposons pour montrer activement notre soutien et notre solidarité. Et alors que notre quotidien est inondé d’inquiétudes quant à l’augmentation des prix des denrées alimentaires et du carburant et que les bulletins d’information décrivent des scénarios apocalyptiques impliquant des armes chimiques ou nucléaires, n’oubliez pas les personnes prises au cœur de ce conflit.
Des millions d’Ukrainiens, ainsi que leurs espoirs et leurs rêves pour l’avenir, restent suspendus dans l’incertitude et la peur en raison de la guerre de Poutine, mais même s’il est difficile d’y croire pour le moment, ce conflit aussi passera. Pour l’instant, alors que l’obscurité de la peur et de l’incertitude semble envahir l’horizon, laissez notre soutien et notre solidarité représenter un peu de lumière dans cette obscurité.
« Quand tu es au bout de ta corde, fais un nœud et accroche-toi ». Theodore Roosevelt
Francis Amponsah
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